Un désir nommé Utopia

Sur Véronique Hubert

Laurent de Sutter

1 – Gabriel Tarde avait un jour suggéré d’échanger l’ancienne métaphysique de l’être contre une métaphysique de l’avoir. Ce n’est pas l’être qui nous définit, mais la multitude des possessions que nous pouvons dire nôtres. J’ai les yeux bleus, les cheveux blonds, et les chevilles fines ; j’ai trente ans, vingt amis, et un amant ; j’ai un travail, une maison, et des enfants ; ainsi de suite. En faisant l’addition de l’ensemble de nos possessions, nous pouvons parvenir à une meilleure approximation de ce que nous sommes qu’en nous contentant de prétendre à un être qu’il nous faut de toute manière partager avec autrui. Aux yeux de Gabriel Tarde, il fallait déduire de cette métaphysique de l’avoir que, contrairement à ce que prétendent souvent les moralistes, nous ne sommes pas seuls au monde. Ou plutôt que si nous sommes seuls au monde, c’est que nous avons bien peu de possessions auxquelles nous rattacher : peu de personnes, peu de biens, peu de caractéristiques. Un siècle plus tard, Peter Sloterdijk avait tiré les conséquences rigoureuses de l’instauration par Gabriel Tarde de cette métaphysique de l’avoir en soutenant, dans Bulles, que « être, c’est être nombreux. » Peut-être faudrait-il se souvenir de la possibilité d’une telle métaphysique au moment d’aborder les travaux de Véronique Hubert. Contrairement à de nombreux artistes d’aujourd’hui, Véronique Hubert semble faire comme si, en effet, créer consistait à rajouter de l’avoir à l’avoir. C’est-à-dire consistait à introduire dans un monde donné de nouvelles choses auxquelles nous rattacher afin d’exister davantage.[...]

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Un désir nommé Utopia
texte de Laurent de Sutter